Québec : État/Éducation d’exception – De la désobéissance civile

Publié le par jdor

En France, nos médias ne donnant guère de nouvelles de ce conflit devenu grave, je poursuis la reprise d’articles venant du Québec. Le premier est une réaction très forte de Joan Sénéchal, professeur de philosophie, le deuxième relate les faits des derniers jours.

Ce qui me fait plaisir, personnellement, c’est que les responsables étudiants, comme nombre de professeurs, d’écrivains, etc, prônent la désobéissance civile avec la non-violence. Dans un conflit de cette nature, la violence produirait l’inverse du résultat recherché et une aubaine pour le pouvoir qui n’a plus, ou jamais eu, la moindre notion de ce qu’est une démocratie. (Jean Dornac)


Joan Sénéchal - Professeur de philosophie au Collège Ahuntsic
Tribune libre de Vigile - lundi 21 mai 2012     

Avant ce jeudi 17 mai, on ignorait qu’au Québec le droit à l’éducation était le droit le plus absolu et le plus fondamental. On ignorait que le droit de suivre ses cours passait avant celui de s’associer, avant celui de manifester, avant celui d’exprimer ses opinions. On ignorait que l’absoluité de ce droit lui conférait même la faculté de donner au ministre de l’éducation le pouvoir de passer des lois et des règlements par-dessus le parlement et le pouvoir d’invalider les décisions des cours de justice.

On l’ignorait d’autant plus que la hausse des frais de scolarité affecte irrémédiablement l’accessibilité aux études supérieures et porte atteinte au droit d’étudier des classes populaires et des classes moyennes.

On commence ainsi à comprendre ce que signifie l’expression « éducation d’exception » dans la bouche de ceux qui ont planifié la hausse des frais de scolarité et qui ont élaboré les différents paragraphes de la loi 78. Une éducation qui ne sera plus la norme, qui ne sera ouverte qu’à une minorité. Une éducation qui se déroulera dans un cadre martial, avec des étudiants contrôlés par un appareil répressif administratif, policier, judiciaire et gouvernemental – un appareil répressif totalitaire.

Plusieurs qualificatifs viennent à l’esprit lorsqu’on pense aux dispositifs de la loi 78 : « abusifs », « arbitraires », « odieux », « liberticides », « fascistes ». Aussi, lors des débats de la nuit du 17 au 18 mai, à entendre les membres de la majorité utiliser des concepts comme « défense des droits », « liberté d’expression », « valeurs démocratiques » ou « justice », on en perdait totalement son français, sa foi dans le langage. Rarement ces concepts ont-ils été autant vidés de leur sens que durant cette terrible veillée de cannibalisme lexical, de sabbat sémantique, que durant cet effroyable autodafé des droits collectifs et des libertés fondamentales. Des mots soudain creux, desséchés, ectoplasmes zombis claudiquant pathétiquement hors de bouches mortifères aux intentions fétides.

Pour ceux que ces leurres hideux n’ont pas trompé, il devient clair que le droit d’étudier dont on parle est celui des étudiants conformistes à étudier conformément ce qu’il est conforme de savoir.

Car que fait cette loi sinon exiger du corps étudiant qu’il scinde le contenu de ses apprentissages du monde du vécu et de la pratique. Qu’un étudiant qui étudie Sartre, Steinbeck, la sociologie de la consommation, l’histoire du Québec contemporain, la macroéconomie ou les sciences politiques élabore un discours critique à l’égard du gouvernement actuel, rien n’est plus normal. Et qu’il s’organise et revendique publiquement ses opinions depuis ce discours critique, rien n’est plus naturel. Mais précisément, avec la loi 78, rien ne sera plus illégal que cela. Rien ne sera plus susceptible de constituer une infraction. C’est à la schizophrénie et au cynisme que cette loi pousse nos jeunes.

Et schizophrénie produit-elle encore avec cette double contrainte, ce double bind, qu’elle impose à nos étudiants pour les prochains jours.

On leur demande en effet de voter pour décider s’ils poursuivent leur session maintenant, ou s’ils la suspendent pour la terminer aux mois d’août et de septembre. S’ils la poursuivent, ils s’engagent à ne pas perturber leurs propres cours, ni les cours repris plus tard de ceux qui la suspendent. S’ils la suspendent, ils s’engagent à ne pas perturber les cours de ceux qui choisissent de la poursuivre maintenant, ni les leurs quand ils les reprendront.

Nous disons « ils s’y engagent », mais nous devrions dire « ils sont contraints ». Car toute perturbation concrète est accompagnée de mesures drastiques allant d’amendes extrêmement élevées à la dissolution pure et simple de l’association étudiante qui porte ces perturbations.

De fait, concernant la hausse des frais de scolarité, les étudiants perdent tout moyen de pression. Quel que soit leur choix, l’origine de leur lutte est oblitérée. Quel que soit leur choix, ils sont perdants. Pour eux, la seule réaction de bon sens est donc de refuser de voter, de refuser la consultation, de refuser de jouer la partie avec les règles que le gouvernement impose.

Malheureusement, un tel refus d’obtempérer pourra toujours jouer en faveur du gouvernement qui, depuis le début du conflit, engrange des points et du capital politique à chaque nouvelle preuve de chaos et de désordre, à chaque flambée de violence. « Les étudiants mettent le pays à feu et à sang ! » entend-on de part et d’autre – même si ce feu est celui des lacrymogènes policières, et même si ce sang, celui seul des protestataires...

C’est pourquoi nous, professeurs et administrateurs des établissements d’enseignement, avons notre rôle à jouer dans la mise en échec de ce plan. Et ce, d’autant plus que la loi 78 ne nous demande pas autre chose que de nous faire les agents, les complices de son ignominie.

Il semblerait ainsi que deux options s’offrent à nous, l’une légale, l’autre non.

La première option : démissionner en bloc, et rendre impossible la rentrée des étudiants par absence de professeurs et de personnel administratif. Selon la loi 78, empêcher qu’un cours se donne par une action ou par une omission est un crime, sauf si l’employé est démissionnaire.

La seconde option : désobéir et refuser d’enseigner ou d’administrer – quel que soit les non-votes pris par les assemblées étudiantes qui n’ont plus grand chose de démocratiques dans un tel état de siège. Certes, les amendes et les peines de prison font peur. Mais cessons un instant de réfléchir selon une échelle individuelle et ponctuelle : imaginons une grève qui dure plusieurs semaines et qui réunit plusieurs milliers de personnes. Les amendes et les peines deviennent alors faramineuses, atteignent des proportions cosmiques, absurdes : des millions, des milliards de dollars, des décennies, des siècles de prison. Toute une frange de la population insolvable, sous scellé, sous huissier, derrière les barreaux... Dans leur chiffrage excessif, ces amendes et ces peines rendent toute application judiciaire impraticable en cas de réaction collective serrée.

Voici donc où nous sommes. Plier, c’est accepter que le Québec change de régime, qu’il dérive un peu plus vers les marais d’un autoritarisme fascisant. Ne pas plier, c’est accepter sur soi le déchaînement de la violence totale dont dispose l’État. Mais c’est aussi, lueur d’espoir et de foi, donner ce choix de société aux agents concernés, policiers, gradés, huissiers, juges, gardiens de prison... car aucun pouvoir ne tient ni ne s’applique sans l’obéissance de chaque maillon de la chaîne de commande. Et alors on verra de quel bois et de quels minerais nos pareils sont faits.

http://www.vigile.net/Etat-Education-d-exception

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La CLASSE refuse « de céder à la peur »

Pas question de fournir l’itinéraire de la manifestation devant marquer aujourd’hui 100 jours de grève étudiante

 Valérian Mazataud   22 mai 2012  Éducation

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Photo : Annik MH De Carufel - Le Devoir

La loi 78 ne doit pas tuer la mobilisation, estiment les coporte-parole de la CLASSE, Gabriel Nadeau-Dubois et Jeanne Reynolds, qui appellent à continuer à manifester en vertu des droits garantis par les chartes.

A la suite d’une fin de semaine aux nuits ponctuées de violents affrontements entre policiers et manifestants, la CLASSE a appelé hier après-midi à « refuser de céder à la peur et à la répression » en désobéissant à la loi spéciale 78, « quitte à en assumer les conséquences juridiques ». Un peu plus tôt dans la journée, le maire de Montréal, Gérald Tremblay, s’était prononcé en faveur d’une trêve, appelant gouvernement et étudiants à rejoindre la table des négociations.

Tenant entre ses mains un exemplaire du projet de loi 78 frappé du sceau de l’Assemblée nationale, les coporte-parole de la CLASSE, Gabriel Nadeau-Dubois et Jeanne Reynolds, se sont exprimés hier après-midi au square Émilie-Gamelin, face à un parterre de journalistes, et entourés d’une foule de sympathisants arborant le carré rouge. Dans ce face-à-face historique entre le gouvernement et les jeunes, rester inactif, c’est accepter de perdre ses droits fondamentaux, a martelé le désormais célèbre porte-parole, à la veille du centième jour de contestation.

La CLASSE souhaite se poser en organisation représentante des opposants à la loi 78, se disant prête à assumer ce rôle, même s’il s’agit de faire face à des poursuites. « Le droit de manifester est fondamental et ne peut être brimé. » À ce titre, Mme Reynolds souhaite maintenir les « pratiques organisationnelles » de la CLASSE, en conformité avec la Charte des droits et libertés de la personne, notamment en ne déclarant pas l’itinéraire d’une manifestation. Le fait de ne pas déclarer l’itinéraire d’une manifestation n’induit pas qu’elle deviendra violente, a rappelé M. Nadeau-Dubois.

La coalition a appelé à manifester aujourd’hui à 14 h, place des Festivals, pour souligner le 100e jour de grève.

Violents affrontements

La fin de semaine s’est soldée par deux soirées de courses poursuites entre les forces de l’ordre (Service de police de la Ville de Montréal et Sûreté du Québec) et manifestants. « Marco ? Polo ! On joue à tag avec la police », se sont amusés des manifestants dimanche soir pour inciter les clients des bars du Quartier latin à les rejoindre. Pour autant, l’ambiance des marches de cette longue fin de semaine était loin d’être bon enfant.

Déclarées illégales dès leur première heure, les marches nocturnes ont donné lieu à plus de 370 arrestations et à plus d’une dizaine de blessés chez les manifestants, dont au moins un dans un état grave. Dans la nuit de samedi et de dimanche, plusieurs milliers de manifestants se sont réunis au square Émilie-Gamelin, pour entreprendre leurs 26e et 27e marches nocturnes. La foule n’a pas tardé à se retrouver face aux escouades de police qui ont dispersé, parfois très violemment, les participants.

Les petits groupes dispersés ont été capables de se rejoindre à plusieurs reprises, notamment grâce à Twitter, et le Quartier latin est devenu le point central de leur regroupement. Samedi soir, un groupe a improvisé une barricade enflammée en utilisant le matériel d’un chantier de construction au croisement des rues Ontario et Saint-Denis. Le lendemain, une borne-fontaine ouverte y a inondé la rue.

Samedi soir, la terrasse du bar le Saint Bock a été mise à sac par la police, et le propriétaire évalue les dégâts à plusieurs milliers de dollars. Le propriétaire du restaurant sans gluten Zero8 a pour sa part été arrêté alors qu’il aidait ses clients à fuir par la porte arrière.

Appel à la trêve

Lors de son point de presse d’hier après-midi, la CLASSE a tenu à souligner qu’elle n’avait jamais appelé à la casse ou au vandalisme, et que lors des manifestations qu’elle organisait, elle s’assurait de mettre en place un service d’ordre.

Dans le cadre des festivités de la Journée nationale des patriotes, Amir Khadir a abondé dans le sens de la CLASSE, estimant, devant une foule enthousiaste, que « la seule réponse à opposer [à la loi 78], c’est de ne pas s’y plier ».

Le maire de Montréal, Gérald Tremblay, en entrevue à Radio-Canada, a lancé un appel à la trêve, soulignant que policiers, touristes, manifestants et citoyens étaient tous perdants. « La seule façon de régler ce conflit, c’est de retourner à la table des négociations », a-t-il plaidé.

Sur le front juridique, des avocats et des professeurs de droit mandatés par les associations étudiantes, dont la CLASSE, travaillent à contester plusieurs articles de la loi spéciale devant les tribunaux, avec l’aide de la clinique juridique Juripop.

Hier, la 28e manifestation nocturne a réuni des milliers de manifestants à Montréal, dont le groupe du « Baby Bloc », des parents militants accompagnés de leurs jeunes enfants. Les manifestants se sont dirigés vers le pont Jacques-Cartier, dont l’entrée a été bloquée par la SQ, et la manifestation a été déclarée illégale, mais tolérée tant qu’elle resterait pacifique. Plus tard, un groupe a pris la direction de Westmount, où se trouve la résidence du premier ministre, scandant « On va chez Charest ». La tension est montée d’un cran vers 23 h 30, quand les policiers leur ont bloqué la route. Au moment de mettre sous presse, les manifestants avaient toutefois choisi d’éviter la confrontation et repris leur marche.

http://www.ledevoir.com/societe/education/350603/la-classe-refuse-de-ceder-a-la-peur

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blog(fermaton.over-blog.com),No-6. THÉORÈME DE LA CHUTE. - OBSÉDÉ DU POUVOIR ??
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