Nouvelle France : Fort de Chartres.

Publié le par jdor

  

Par Marie-Hélène Morot-Sir

Tandis que de nombreux évènements tragiques avaient lieu sur le sol de la Nouvelle France, tranquillement installé, bien à l’abri en France, Voltaire s’exprimait d’une manière singulière : “ Ces deux nations, la France et l’Angleterre sont en guerre pour quelques arpents de neige, elles dépensent pour cette belle guerre plus que le Canada ne vaut ! 

Les Anglais, imperturbables continuent leur funeste avancée : Fort Frontenac (Kataracoui) tombera peu après. En novembre, l’armée de John Forbes, avec plus de dix mille hommes, fait la jonction avec Washington en se dirigeant vers Fort Duquesne. Le commandant de Lignières n’a au grand maximum que quatre cents hommes, et faute de pouvoir les nourrir, les Amérindiens les ont laissés seuls, ils sont repartis dans leurs villages.

De Lignières n’a plus qu’une seule ressource, il fait brûler le Fort pour ne pas le laisser aux Anglais, et se voit obligé de le quitter avec ses quelques hommes de troupe. Fort Duquesne a donc disparu, sans un seul coup de fusil !

Les Anglais le reconstruiront et, désormais, il portera le nom de Fort Pitt, en hommage à leur premier ministre, puis plus tard, bien plus tard se construira sur son emplacement la ville moderne de Pittsburg.

En Mai 1759, c’est au tour de Fort Carillon, puis en juillet, de celui de Fort Niagara. Ils se rendent tous à Amherst. La chute de leurs forts est ressentie comme un véritable désastre par les Français car ils avaient une importance stratégique pour la Nouvelle France, la chute de Montréal mais aussi celle de Québec paraissent à présent, pratiquement inévitables.

fort_chartres_3.jpghttp://www.ameriquefrancaise.org/fr/article-663/Fort_de_Chartres_en_Illinois.html

En 1763, aux termes du traité de Paris, la France va céder officiellement à la Grande Bretagne ses colonies d’Amérique du Nord, sauf la Guadeloupe, la Martinique et Saint Pierre et Miquelon. Cependant, le drapeau du Roi de France, flottera encore pendant deux ans sur le Fort de Chartres, en Louisiane.

C’était un fort très important où non seulement vivaient de nombreux Français, soldats ou habitants, mais ils s’y étaient rajoutés des Canadiens Français, descendus jusque-là.

Ces derniers refusaient absolument, sur les bords du Saint Laurent de se soumettre aux Anglais.

Plusieurs tribus indiennes vivaient et gravitaient d’ordinaire tout autour du Fort de Chartres, pour le commerce. Ces tribus amies campaient le long des palissades de rondins de bois, espérant toujours dans le réveil d’Onontio, car une rumeur circulait : “ Notre père, le grand Onontio de France, s’est endormi fatigué de la guerre, mais il a entendu l’appel de ses enfants, son sommeil tire à sa fin, quand il va se réveiller il détruira toutes les tuniques rouges. ” 

D’autres tribus, moins proches des Français, étaient déjà parties de l’autre côté du fleuve, elles avaient traversé le Mississipi*, à la recherche d’un répit, mais ce répit durera hélas pour elles, à peine quelques années.

Tandis que d’autres grands chefs accouraient auprès du colonel du Fort de Chartres, Neyon de Villiers, pour l’encourager, mais aussi pour le soutenir et lui offrir leur appui : “ Prends courage, mon Père, les Anglais ne pénétreront jamais jusqu’ici tant qu’il y aura un homme rouge vivant. ” 

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Mais aussi Pontiac, le grand Pontiac, chef des Outaouais arriva à son tour et s’exprima ainsi : “ Je viens mon Père pour t’inviter, toi et tes alliés, à venir avec moi faire la guerre aux tuniques rouges. ”  

Pontiac avait rassemblé toute une importante confédération de tribus amérindiennes, prêtes à se battre aux côtés des Français contre les Anglais, sans comprendre que le traité de Paris, donnant la victoire aux Anglais, avait été signé, bel et bien paraphé, scellant leur sort à tous, et que rien ne pouvait plus faire changer les choses.

Quant au chef des Biloxi, il s’écria : « Nous mourrons avec les Français s’ils se battent, sinon nous passerons sur l’autre rive du fleuve… »

Tous les Kaskaskia, les Péorias, les Cahokias, les Missouris, les Osages, et un nombre infini d’autres tribus, avaient déterré la hache de guerre “ contre ces chiens vêtus de rouge qui nous volent nos terrains de chasse ”. Ils ne voulaient pas croire et encore moins accepter, que leur Père, le Roi de France, les ait quittés, les laissant seuls, face à l’envahisseur anglais…

Les Amérindiens se réunirent pour la première fois sous un drapeau, ce que l’on n’avait jamais vu dans leur histoire et qu’on ne revit d’ailleurs jamais, drapeau que les colporteurs Bois-Brûlé distribuaient aux tribus, le drapeau fleurdelisé du Roi de France. 

Cette forte mais insensée et si impressionnante résistance, fit malgré tout reculer les Anglais. Ils négocièrent avec les Français une période de deux ans supplémentaires, afin que le repli des troupes françaises se fasse par palier. Le Fort de Chartres en serait la toute dernière étape, laissant ainsi le temps aux tribus amérindiennes de s’habituer au départ progressif de la France, mais surtout ils espéraient que cela laisserait ainsi le temps à cette situation si tendue, de se calmer.

Durant ces deux années où tant de gens s’obstinèrent à rester Français, ils assistèrent à une sorte de longue hémorragie par ces mêmes chemins d’eau du Roi de France. Le Wisconsin, le pays des Illinois, le Missouri, le Mississipi… de partout les minuscules garnisons, qui avaient tenu à elles seules cet empire français d’Amérique du Nord, se repliaient les unes après les autres, mais aussi depuis les Forts Crévecoeur et Saint Louis construits par Cavelier de La Salle, et d’autres encore plus éloignées comme celle du fort Duquesne…. Quant au Fort de Chartres, il était devenu une sorte de dernière halte, une sorte de lieu de repli… Un dernier petit coin de France.

La tête du grand chef Pontiac fut bien tristement mise à prix par les Anglais et ce chef  Indien de grande valeur et de grand courage fut assassiné en 1769 par un indien alcoolique de la tribu des Illinois, pour un seul baril d’eau de vie.

Même si cette longue rébellion de Pontiac n’a finalement pas abouti à empêcher les Anglais de s’emparer de la Nouvelle France, son exemple inspira un grand nombre de chefs indiens successifs qui résisteront à leur tour, ils se rebelleront et combattront dans les décennies suivantes tous les Anglais et Anglo-américains qui viendront malheureusement les chasser des terres de leurs ancêtres, après la création des jeunes états unis d’Amérique…

Ils seront sans cesse bien tristement repoussés de plus en plus vers l’Ouest, jusqu’au moment où les quelques derniers membres de ces fières tribus devront accepter de plier irrémédiablement devant l’homme blanc, et admettre pour lui et les siens, une fois que tous leurs terrains de chasse ancestraux auront été totalement annexés, d’aller vivre uniquement dans les réserves choisies pour eux.

Pendant près des deux siècles suivants, les Indiens seront l’obstacle majeur à l’avancée des anglo-américains, qui se verront sans cesse obligés de signer des centaines de traités de paix avec eux… Même si ces traités ne seront jamais respectés !

http://www.armchairgeneral.com/forums/showthread.php?t=81077&page=2fort1.jpg

Le fort de Chartres, une des plus puissantes forteresses françaises en Nouvelle France, déplacé et reconstruit après des inondations importantes du fleuve, aura été le dernier lieu où le drapeau du Roi de France sera resté fièrement comme un dernier défi, avant que les Anglais ne puissent mettre le pied sur ces terres françaises.

Louis F. Burns, historien Osage dans son “ Histoire du Peuple Osage ” raconte quelle tristesse ce fut de voir le major Sterling des forces anglaises préparer son protocole en vue de la reddition du fort de Chartres. Un chef Osage, avec quelques guerriers, se tenait auprès du commandant français, Saint Ange, lors de sa rencontre avec le major Sterling. Saint Ange empêcha de justesse les Osages de se jeter sur ce dernier dans l’évident dessein de le tuer au moment même où ils avaient craint que l’Anglais ne tue lui-même Saint Ange … 

Ce fut pour tous ces Indiens une bien triste journée que celle qui vit Sterling et ses Highlanders prendre possession de leur fort. Le Commandant français Saint Ange de Bellerive, avec sa petite garnison de trente-cinq hommes et deux officiers, fut donc, malgré tout, obligé de partir, laissant bien tristement tous ses amis Amérindiens et tous les habitants du fort. Il se rendra sur la rive droite du Mississipi pour aller s’établir à Saint Louis ou à Saint Charles, sur le Missouri, et là le drapeau français continuera à flotter encore quelque temps…

A partir de ce moment, un grand nombre d’habitants du fort de Chartres, ce fort connu pour sa gaieté et sa joie de vivre, tomberont malades. Pourtant, dès leur arrivée, les Anglais s’efforceront d’être aussi diplomates que possible, ils promettent à la population les mêmes droits et libertés que ceux qu’ils avaient avec la Couronne de France, mais cela ne suffit pas et un grand nombre d’entre eux ne pourra pas accepter de vivre sous domination anglaise et passera par la suite à l’Ouest, accompagnés de nombreux Amérindiens croyant tous se retrouver en terres françaises.

Cependant, ce côté de la Louisiane avait été cédé à l’Espagne par un accord secret de Napoléon qui espérait ainsi lui éviter de tomber aux mains des britanniques. L’Espagne n’en prit possession qu’en 1766 sans grande conviction, mais lorsque cela arriva les habitants de la Nouvelle Orléans se rebellèrent tellement contre le gouverneur espagnol mis en place, qu’il dût très rapidement s’éloigner. Une sorte de république française se forma alors et administra effectivement la ville.

Au traité de San Ildefonso les Espagnols rendirent la Louisiane à La France, le 27 juin 1796, ce qui ne fut effectivement signé par Charles IV qu’en octobre 1802. Napoléon prévoyant qu’il ne pourrait pas l’occuper et encore moins la conserver sans qu’elle ne tombe aux mains des Anglais décida alors de la vendre aux nouveaux Etats-Unis d’Amérique. Ces derniers avaient envoyé des émissaires à Paris pour demander l’autorisation de naviguer sur le Mississipi, et ils étaient même désireux de se rendre acquéreur de la Nouvelle Orléans, si toutefois cela était possible…

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A leur grande surprise, on leur offrit l’achat de toute la Louisiane, pour la mettre enfin à l’abri des convoitises anglaises, et ce pour un faible montant de quatre-vingt million de francs (signé à Paris le 30 avril 1803), une véritable aubaine pour un si immense territoire, allant des grands lacs canadiens au golfe du Mexique, une aubaine d’autant plus grande que les jeunes Etats-Unis d’Amérique ne purent s’acquitter de la totalité de la somme, somme qui ne leur fut jamais réclamée par la France…

Le drapeau Français n’avait donc flotté à nouveau que quelques jours sur la Nouvelle Orléans sous les applaudissements follement enthousiastes de ses habitants qui avaient repris espoir pour hélas... Très peu de temps !

Reste que les nations Amérindiennes allaient faire, à leurs dépens, la différence entre leurs “ frères français ” et les “ tuniques bleues états-uniennes ” qui aussitôt les considérèrent comme des “ fauves ” à éliminer, ce à quoi ils s’employèrent dans les plus brefs délais !

Plus tard, le fort de Chartres, comme un grand nombre d’autres forts, sera aussi restauré, en tous les cas en grande partie. Le visiteur peut le voir à la prairie du Rocher dans l’Illinois. Il se trouve à environ sept kilomètres du vieux village français. L’arsenal en pierre avant sa restauration, avait survécu à la ruine, au contraire du reste de la construction, c’est le plus vieux bâtiment de l’Etat de l’Illinois. Le parc accueille chaque année plusieurs reconstitutions historiques de l’époque française, tant civiles que militaires.

*Mississipi écrit avec un seul « p » comme du temps des Français était appelé Metsi  Sipi : Père des grandes eaux. Prononcé par certaines tribus Mesca Cébé.

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A
Toujours aussi intéressant et passionnant de vous lire.. Merci !
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J
<br /> <br /> Merci à vous !!<br /> <br /> <br /> <br />
P
Triste le sort du grand Pontiac ! c’est devenu une légende telle que son nom a été donné à une ville dans le Michigan et une voiture de prestige porte son nom la “Pontiac”. Qui sait encore<br /> aujourd'hui parmi la jeunesse du Québec qui était Pontiac et ce qu’il a fait? Et qui parmi ces jeunes pourrait nous raconter quelque chose sur le Fort de Chartres, ce dernier petit coin de France<br /> qui a résisté plus de deux ans encore .. Merci vraiment à Marie-Hélène Morot-Sir de nous faire ces récits..Je les fais passer autour de moi.
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A
Nous aimons tous le grand Pontiac, cet Amérindien qui a tout essayé, tout tenté pour garder les Français, pour qu’ils ne partent pas. Les Anglais en ont eu si peur qu’ils le feront assassiner en<br /> 1769 par un indien Illinois alcoolique de la tribu des Peoria à qui on avait promis pour cette horrible besogne un seul baril d’eau de vie et le grand Pontiac tombera tristement sous le coup de<br /> poignard donné par cet indien. Il recevra les honneurs militaires des Français et sera enterré par la garnison du fort de Chartres et le commandant Saint Ange de Bellerive... je remercie une fois<br /> encore Marie-Hélène Morot-Sir de ses textes qui nous remettent notre passé en mémoire, c'est si important pour nous !
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S
Les forces réunies de cette coalition amérindienne réunie par Pontiac vont être si puissantes qu’elles vont arriver à s’emparer de 9 forts anglais sur 11 à tel point que le général anglais jeffrey<br /> Amherst commencera à penser à rapatrier non seulement tous les soldats anglais en Angleterre mais aussi les colons de Nouvelle Angleterre.. malheureusement avant cela il va utiliser un moyen<br /> ignoble, totalement immonde, il va envoyer son second le colonel suisse Henri Bousquet distribuer des couvertures variolées aux tribus et un véritable génocide aura lieu.. C’est de cette manière<br /> horrible que les Anglais auront eu raison des courageux Amérindiens et pourront rester sur le sol de la Nouvelle France . Voici pourquoi nous apprécions tant les articles de Marie-Hélène Morot-Sir<br /> sur le blog de Monsieur Dornac elle nous parle vraiment de notre Histoire mais aussi principalement dans ses livres, et entre autres “1608-2008 quatre cents hivers, autant d’étés”. Merci encore à<br /> elle.
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P
Merci à Marie-Hélène Morot-Sir de nous parler aujourd’hui du grand Pontiac. Il avait créé une coalition amérindienne très importante, rassemblant de nombreuses tribus algonquines des bords du Saint<br /> Laurent , mais aussi bien d'autres tribus le long du Mississipi, les Shawnee, les Renards, les Winebagos, les Miami ... et bien d’autres encore pour arrêter les Anglais et surtout tenter de faire<br /> revenir et ramener leurs frères Français auprès d’eux.
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