Le reflet de l’Histoire… et l’âme de tout un peuple.

Publié le par jdor

Par Marie-Hélène Morot-Sir

 Le français du Québec, à la fois semblable et différent !

Lorsque les Français sont partis de France, au tout début du 17ème siècle, lorsqu’ils ont traversé l’Atlantique pour aller bâtir ce pays de la Nouvelle France, ils ont bien entendu emporté avec eux leur langue et leur  accent. La langue qu’ils parlaient n’était pas encore celle de l’Académie Française, ni celle non plus du Roi Soleil, comme nous allons le voir.

Durant les siècles précédents, ainsi qu’au 16ème siècle, à l’époque du roi François Ier, la France était formée de régions dont chacune avait sa langue régionale propre. Toutes ces langues, ces dialectes différents, qui étaient appelés plus communément « patois », avaient été formés à partir du latin et de la façon dont il était parlé dans les différentes régions… La région de l’île de France, comme toutes les autres régions françaises, possédait elle aussi sa langue régionale, elle était apparue en un autre temps au moment où les Francs, des tribus germaniques, étaient arrivés sur son sol, mais au cours des siècles cette langue avait considérablement évoluée, elle s’était enrichie, grâce au passage de nombreux voyageurs venant de tous les coins de France, assimilant ainsi de nombreux mots des autres langues régionales du pays, et en particulier de ceux de la langue provençale du sud de la France, dont il reste une grande quantité dans notre vocabulaire français moderne. Peu à peu, elle finit par  transcender tous les autres parlers régionaux parce qu’elle servit de langue commune aux commerçants, à tous les artisans, aux ouvriers et à tous ceux qui transitaient par la capitale...  C’est ainsi que cette langue de l’île de France, ce français, se généralisa peu à peu puisqu’il facilitait les échanges, et permettait de communiquer entre tous les dialectes régionaux… Enfin, ayant pris de plus en plus de prédominance, il sera  imposé dans tous les textes écrits de l’administration en lieu et place du latin, par le roi François Ier lors de cette célèbre ordonnance de Villers-Cotterêt en 1539.

le-francais.jpg C’est pourquoi tous les Français parlaient et utilisaient le français, y compris à l’écrit, même si les langues régionales (patois) étaient encore prédominantes dans  toutes les régions, les villages et tous les foyers. Ces langues ont donc cohabité côte à côte avec le français finalement appris et parlé par toute la population devenue bilingue patois-français.

Les Français désireux de partir  pour le grand voyage en Nouvelle France se trouvaient principalement dans les milieux des artisans, des paysans, des ouvriers et des commerçants, c’était donc des gens qui comme tous les Français connaissaient et utilisaient déjà la langue française, cette langue de l’île de France… Mais venus de régions diverses utilisant des langages régionaux différents, pour pouvoir se comprendre sans ambiguïté sur le sol de la Nouvelle France, ils utilisèrent immédiatement entre eux le français … Ils ont donc, avant la France même, fait cette union linguistique tout seuls, et sans l’aide d’un Etat, puisque en France, les Français s’ils le parlaient et l’écrivaient depuis déjà longtemps, dès qu’ils revenaient chez eux, parlaient encore tous leur langue régionale ou patois local. Cependant, il faut souligner que cette langue usuelle, ce français employé par tous en Nouvelle France, sera fortement marqué par les particularismes du Nord de la France, de Normandie, de l’Ouest, comme le Poitou, et même du centre… régions principales d’où étaient originaires les candidats au grand départ de l’autre côté de l’océan.   

De très nombreux termes de marine dus à ces régions de marins sont encore employés de nos jours tels que : embarquer, amarrer, appareiller, chavirer… de même, il est à remarquer des mots typiques des régions de Bretagne, de Normandie ou du Poitou,  tels par exemple : niaiseux, têteux, siffleux…

Une des premières causes des différences observées par la suite entre le français de France, et le français parlé en Nouvelle France, est simple, le français apporté dans le Nouveau Monde avec les premiers Français partis en Amérique du Nord, était tout simplement celui parlé avant le « grand ménage » que l’élite française, les grammairiens tels François de Malherbe, Claude Favre de Vaugelas, avec d’autres ont fait passer à la langue, soutenus quelques années plus tard par l’Académie Française, créée en 1635 … Ils ont voulu épurer et discipliner la langue française, les mots jugés trop populaires ou trop régionaux ont donc été écartés, c’est alors devenu le « bon usage de la cour du Roi » mais cela seulement quelques décennies plus tard, ce qui peut donc faire croire, à tort, que les premiers Français partis en Nouvelle France parlaient la langue du roi…  Nicolas Boileau exprimera, au cours des années suivantes, au nom de tous les écrivains classiques, la satisfaction du résultat de ce grand ménage,   par cette phrase célèbre : «  Enfin Malherbe vint… » 

Ainsi, on peut remarquer de nombreux mots appelés aujourd’hui des québécismes tels pogner, graffigner, garrocher, mouillasser… Mais ils ne sont en fait que des termes employés parfaitement et couramment en France, avant leur éviction du vocabulaire, épuré par les grammairiens. C’est pourquoi il n’est pas étonnant que de nombreuses personnes, en voyage à cette époque en Nouvelle France, s’expriment alors en disant combien les Canadiens parlent le même  français que celui de France tel le géographe anglais Thomas Jefferys : « S’il y a peu de personnes riches, ils vivent bien, ils sont extrêmement généreux, hospitalier, se vêtent avec goût, pleins d’esprit et de conversation, polis et obligeants dans leurs manières, ils parlent un français très pur sans aucun accent. »

De même Bacqueville de la Potherie, l’écrivain et historien de la marine de Louis XIV, en fera les plus grands compliments dans son « Histoire de l’Amérique Septentrionale »,  ou le naturaliste Pehr Kalm «  tous parlent ici un français, plus pur que dans n’importe quelle province française et peuvent à tout coup rivaliser avec Paris, ils peuvent pour la plupart lire des textes mais aussi écrivent assez bien. J’ai rencontré des femmes qui écrivaient comme le meilleur écrivain public. » 

Avant ce grand ménage, il  coexistait deux façons de prononcer la langue française :

- le « grand usage » était la langue savante des discours publics, du Parlement, de la justice, du Théâtre,  de la lecture à haute voix ou encore celle totalement utilisée par la bourgeoisie. On pourrait résumer en disant : le grand usage  était employé en prêchant, plaidant, déclamant…

- le « bel usage » était, par contre, la langue courante parlée en privé, principalement dans les salons de la noblesse, une manière de parler plus relâchée, un peu affectée, certaines lettres seront simplement avalées, par exemple la prononciation de certaine consonne ou voyelle manquera, on dira  « su » et non « sur » un habit « neu » et non « neuf », le neyer au lieu du noyer, netteyer au lieu de nettoyer, le grand fret au lieu du grand froid, moué, toué, roué… Prononciation effectivement relâchée mais qui redevenait d’une diction parfaite, dès qu’il y avait une lecture à haute voix, dès que les artistes étaient sur scène, au spectacle, ou dans tous les lieux précités…

L’Académie française a fait un important travail, entourée des grammairiens, elle a écarté les mots jugés trop populaires ou trop régionaux.

Le véritable changement va se faire après la révolution de 1789, parce que ce parler du « bel usage » de l’aristocratie rappelait trop l’ancien Régime et la France du « Roué » !  De plus, l’aristocratie avait fui ou avait été guillotinée,  elle qui utilisait principalement dans les salons ce  « bel usage »  ce langage dit relâché. Lorsque cette population aisée revint, ayant été absente du pays au moment de tous les changements de prononciation et la disparition de sa propre façon –relâchée- de s’exprimer, elle constata que la transformation s’était faite au profit de la prononciation de la bourgeoisie qui continuait, quant à elle, à utiliser le seul « grand usage » devenu alors seule la manière officielle et formelle de prononcer. C’est donc le langage de la bourgeoisie et sa manière d’utiliser le « grand usage »  qui va alors définitivement  dominer et avec elle  les gens de lettres, du théâtre, de l’administration tels Parlement, Justice…etc… La noblesse en définitive s’y ralliera…

Pendant ce temps, que se passait-il en Nouvelle France ? La conquête anglaise de 1763, après le Traité de Paris, coupa les liens avec la mère patrie, la Nouvelle France resta isolée, sans pouvoir savoir ce qui se passait alors en France, puis au siècle suivant, elle sera encore davantage coupée de tout, au moment où, en 1806, Napoléon  déclencha le blocus contre l’Angleterre… De ce fait, les Français du Canada ne participeront pas à la réforme de la grammaire et du vocabulaire, ne connaîtront ni Malherbe, ni Vaugelas, ni Gilles Ménage autre grand grammairien de 1672, et encore moins, à ce moment-là, toute la nouvelle rigueur orthographique de l’Académie Française…

C’est ainsi que plus tard, bien plus tard, lorsque des Français pourront à nouveau arriver de France, ils parleront bien entendu avec ce nouvel accent, cette nouvelle façon de prononcer mais surtout ils ne se souviendront plus qu’ils prononçaient de la même façon que les Canadiens français et que la façon de parler de ces derniers était tout simplement la leur auparavant !

Il est effectivement reconnu que le Français du Québec n’a pas vraiment changé dans sa structure grammaticale, la langue a peu évolué, les mots du 18ème siècle sont restés les mêmes. Les emprunts à l’anglais, tous les anglicismes ou encore les américanismes dus aux États-Unis si proches, n’ont pas suffi à transformer en profondeur la langue, et aujourd’hui encore, il est donc possible de dire, que le français du Québec est resté très proche, de celui qui était parlé par les premiers Français, arrivés sur  les bords du Saint Laurent, et donc de celui des Français de France du 17ème siècle.

panneau-arret-quebec.jpgLes panneaux de signalisation « Arrêt » sont l’un des symboles d’une différence d’usage de la langue française au Québec http://www.unautreavenir.com/?p=468

Par la suite, les puristes du Québec se lanceront dans la guerre aux anglicismes, à tel point qu’on assistera à des traductions curieuses construites mot à mot. On observe que, depuis quelques années, le français de France devient la norme dans les médias, comme à Radio Canada, où les présentateurs parlent avec l’accent français tentant de le promouvoir. Cela est si regrettable qu’un grand nombre dira avec juste raison : « le parler d’ici est à nous, il faut en être fiers »  l’accent qui porte la langue est le reflet de l’Histoire mais surtout c’est l’âme de tout un peuple. Il ne faut pas le laisser se dissoudre dans on ne sait quel air du temps… Heureusement, le français québécois est écrit, chanté, parlé et très bien célébré … et nous, les Français, nous l’aimons tous énormément.

Bien évidemment, on ne peut qu’observer, mais la langue française recule au Québec, et selon les endroits, l’infiltration de l’anglais est variable, l’on remarque que le franglais est répandu plutôt dans les couches populaires. Par contre, sur le plateau de Montréal, ce lieu devient un endroit où se regroupent un grand nombre de Français de France, il y a donc très peu d’anglicismes. Contraste important avec le reste de cette grande ville très anglicisée…  

En France, nos parlers régionaux français ont été gommés, après la révolution Française sous la poussée de la Convention, qui désirait effacer les souvenirs de l’Ancien Régime, au nom de l’unité nationale, après le rapport célèbre de l’abbé Grégoire. Il fallait tout ramener à l’aune de la langue française, afin d’avoir une République « une et indivisible ». Si nous l’aimons, notre langue française, et la trouvons exceptionnelle de richesse linguistique, nous devons conserver aussi le patrimoine de toutes ces belles langues régionales aux merveilleuses saveurs prononcées de nos régions, toutes ces diversités culturelles de chaque coin de notre France, comme il est si important également,  que les habitants du Québec conservent eux aussi, leurs magnifiques particularismes…

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S
<br /> En effet si les présentateurs de radio Canada veulent parler avec l’accent français de France,cela souligne simplement notre sensation d'infériorité par rapport à la France, notre ancienne mère<br /> patrie que nous aimons et admirons tant ... mais dénigrons tout à la fois !.. Si nous ne sommes pas toujours fiers de notre propre accent c'est parce que nous ne nous débarrassons pas de notre<br /> statut de colonisés qui pèse sur nous depuis deux siècles passés ! Merci à l'auteur de ces articles fort justes.<br /> Serge Denis du Québec.<br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> Bonjour,<br /> <br /> <br /> Je sais ce que c'est de ne pas être fier d'un accent. Natif d'Alsace, j'ai connu le même problème...<br /> <br /> <br /> Merci pour votre réaction !<br /> <br /> <br /> Jean Dornac<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> Nous sommes plusieurs personnes autour de moi à lire ces textes si intéressants concernant notre pays et son passé français. Nous les faisons circuler.. Nous sommes si nombreux chez nous à ne pas<br /> connaître suffisamment notre Histoire.. C'est pourquoi nous vous en remercions, et sommes dans l'attente des textes suivants.. Merci. Aude Dufour<br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> Bonjour,<br /> <br /> <br /> Je vous remercie pour ce que vous dites, j'en suis très ému. C'est grâce à Marie-Hélène Morot-Sir que c'est possible. J'en suis d'autant plus heureux que si vous ne connaissez pas bien cette part<br /> de votre histroire, qui est aussi un peu la nôtre, en France, nous sommes largement ignorants dans ce domaine. Gamin, à l'école, je n'ai guère appris que le lâche abandon du Canada par Louis<br /> XV...<br /> <br /> <br /> J'espère avoir encore l'occasion de publier nombre de textes sur votre histoire qui, à bien des égards, est très touchante.<br /> <br /> <br /> Jean Dornac<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> Ttrès intéressant, merci beaucoup de ce nouvel article ! vraiment peu de gens chez moi au Québec connaisse ces raisons.. nous ne comprenons pas pourquoi vous les Français de France vous parlez<br /> autrement que nous ou alors on pouvait penser que vous vous imaginiez supérieur à nous à cause de votre façon plus chic de prononcer .. C'est pour cette raison qu'ils essayent de parler avec<br /> l'accent français à Radio Canada..<br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> Merci pour votre commentaire, Anne. Moi non plus, et sans doute une grande partie des Français, nous ne comprenions pas pourquoi cette différence de prononciation. Avec l'article de Marie-Hélène,<br /> tout cela s'éclaire. Et je trouve, pour ma part, que c'est très émouvant, puisque qu'en vous écoutant, je retrouve le "parler" de mes ancêtres. J'ai entendu, tout à l'heure, Linda Lemay et son<br /> "parler" m'a tout à fait enchanté, tout comme celui d'une amie poète, Ode, venue à Paris, en mars dernier et que j'ai eu le bonheur de rencontrer.<br /> <br /> <br /> Il n'est pas impossible, qu'ici, certains se sentent supérieurs par leur langage "pointu". Ils démontrent par là leur manque d'intelligence. C'est triste surtout pour eux.<br /> <br /> <br /> <br />