La Grande Paix de Montréal 4 août 1701

Publié le par jdor

Traité unique dans l’Histoire de l’Amérique du Nord

Par Marie-Hélène Morot-Sir

Tribune libre de Vigile - Mercredi 4 août 2010    

4-1701-c14f7.jpgLorsque en novembre 1698 Louis de Buade, comte de Frontenac, décède, il préparait cette paix depuis plus de deux ans déjà, aidé par beaucoup de personnes qui œuvraient dans les tribus tels par exemple Pierre Le Moyne de Maricourt, frère de Pierre Le Moyne d’Iberville, ou encore le père Bruyas auprès des Onnaontagués, et tant d’autres encore… mais n’oublions pas aussi le grand chef Wendat Kondiaronk qui a fait des efforts inouïs, parcourant avec enthousiasme d’immenses territoires, pour aller expliquer au plus grand nombre possible de tribus, cette grande idée séduisante des Français, cette paix exceptionnelle qu’ils proposent. Cette paix est cependant bien mal vue, bien mal acceptée par les Anglais qui n’en supporteront tellement pas l’idée qu’ils tenteront tout jusqu’au bout pour l’empêcher !...

Le gouverneur Louis Hector de Callière ancien gouverneur de Montréal, succède alors à Frontenac, c’est lui qui va mener à son terme cette grande aventure.

Les Nations, cet été-là, arrivent de toutes les régions pour être à ce grand rendez-vous donné par les Français, toutes veulent participer à cette grande paix, tant l’espoir qu’elle génère est immense.

Trente neuf tribus sont représentées, plus de mille deux cents délégués sont là, les ennemis d’hier les plus virulents sont assis les uns à côté des autres dans cette grande plaine de Montréal, aménagée tout exprès par la Gouverneur pour cette exceptionnelle et grandiose cérémonie...

Les Amérindiens sont plus nombreux tout autour de Montréal que les habitants eux-mêmes à cette époque !

Il est à souligner ce fait surprenant, nulle part ailleurs en Amérique du Nord, n’a existé ce genre de manifestation, dont le seul objectif a été de rassembler des peuples autochtones avec un peuple étranger, nouvel arrivant sur leur sol, comme cela s’est fait en Nouvelle France par les Français. Et surtout avec cette idée assez géniale, de demander à ces peuples de faire avant tout la paix entre eux, c’est le premier point très important, si ce n’est le plus important, avant même de la faire avec les Français.

4-paix-7625c.jpgA la suite de ce premier engagement, tous se mettent d’accord, si un différend survenait entre eux, de venir immédiatement rencontrer Onontio, pour le régler rapidement, afin qu’il puisse procéder à une médiation. Cette promesse acceptée par tous est réellement inimaginable, en effet elle engage une vraie relation cordiale et affective avec les Français et en même temps elle abolit implicitement la précédente alliance, que certaines tribus Odinossonis pouvaient avoir eue avec les colons hollandais, comme cette très ancienne « chaîne de convenant » tacitement prorogée par les Anglais, lorsqu’ils s’empareront de la Nouvelle Amsterdam en 1664.

Cette entente, avec toutes ces nations, entente aussi profonde qu’affective, cette grande paix de Montréal du 4 août 1701, va être ratifiée officiellement, solennellement signée par les trente neufs nations présentes, en apposant leurs signatures sur le document officiel, chacune de ces signatures représente le pictogramme de leurs tribus, ce seing, ce paraphe tribal est un engagement fort, non seulement pour eux mais pour leurs descendants et le contrat sera strictement respecté.

Ce document dûment paraphé est enregistré dans les archives de France, il sera d’une importance capitale pour les cinquante prochaines années.

Cette paix mettra fin à cent ans de conflits avec les Odinossonis, qui avaient débuté le jour même de l’alliance des Français, signée avec tous les Attichawata à Tadoussac en mai 1603… mais qui, hélas, les avaient laissé de côté !

Ce traité de Montréal n’a jamais été invalidé, c’est pourquoi au point de vu diplomatique, il est toujours reconnu par les grandes communautés Amérindiennes qui l’ont signé et par la France…

Le Gouverneur Callière adresse, le 6 août 1701, c’est-à-dire seulement quelques jours après, le document officiel de ce traité, au ministre de la marine en France. Il se trouve encore de nos jours dans les archives françaises, et est toujours consultable. Une lettre l’accompagne, une lettre où est suggérée aux autorités de l’époque, la conduite qu’il serait intéressant de tenir par la France dont voici un extrait :

« Il serait à présent facile puisque la paix a été conclue avec toutes les tribus, y compris avec les Odinossonis, de ruiner les divers établissements anglais de Nouvelle Angleterre. Les Canadiens sont des combattants bien meilleurs que les Anglais car il n’y a pas de troupes réglées dans la Nouvelle Angleterre, alors que la Nouvelle France possède vingt huit compagnies d’infanterie, et les miliciens canadiens savent se battre à la manière Amérindienne, de telles sortes qu’ils effraient par leurs attaques surprenantes et soudaines les habitants des colonies anglaises, appuyés par leurs alliés amérindiens… La plupart des établissements anglais tels Rensselaerswyck, Orange Manatte ou Boston sont mal protégés … »

Suivent alors des explications précises concernant la manière de procéder, réalisable rapidement, cela d’autant plus facilement que les Anglais paraissent plus que suffoqués de cette grande paix, réalisée à leur nez par les Français, malgré pourtant tous leurs efforts pour l’empêcher de s’accomplir, y compris par les moyens les plus troublants...

Pourtant, une fois encore, il n’y aura aucune réponse du ministre en place, et encore moins de la cour !

Cette chance était immense, démesurée, si elle avait été saisie par les dirigeants du moment, elle aurait en effet changé le sens de l’Histoire, elle aurait certes changé le destin de la Nouvelle France et de la France elle-même, mais aussi celui du monde ! La Nouvelle France se serait étendue sur tout le continent et en effet aujourd’hui, c’est la langue française qui prédominerait sur ce continent Nord Américain.

La Nouvelle France avait alors des milliers d’hommes prêts à se lever pour elle, tous ces milliers d’Amérindiens décidés à se battre à ses côtés, cela était facilement envisageable non seulement de se rendre maître de toutes les colonies de la Nouvelle Angleterre mais aussi en même temps d’écarter l’Espagnol du golfe du Mexique... La France avait un ascendant incroyable comme l’écrit Francis Parkman en 1869 : « Etonnant qu’une poignée de Français ait eu autant d’emprise sur autant de Sauvages ! »

La Paix de Montréal a été un message monumental lancé aux Anglais qui l’ont reçu cinq sur cinq. Ils ont si bien senti le vent du boulet les effleurer, qu’ils ont, à partir de cet instant, mis en place tous les éléments qui leur permettront, cinquante ans plus tard, de se saisir de cette Nouvelle France tant convoitée, en constatant que les autorités françaises en France, ne comprenaient pas et même sous-estimaient l’enjeu qu’elles détenaient !

Les responsables français qui gouvernaient et qui avaient en mains les rênes du pouvoir ont pu, sans doute plus tard, se reprocher d’avoir laissé de côté ces opportunités-là alors que tous ceux qui étaient sur le terrain, tous les gouverneurs, les uns après les autres, y compris même d’autres personnes tel le père Paul Le Jeune, voyaient parfaitement comment procéder et l’avaient préconisé depuis bien longtemps… Mais particulièrement au moment de la grande Paix de Montréal toutes ces possibilités étaient incroyablement faciles à mettre en œuvre.

Est-ce pour ces regrets inexprimés, sous-tendant l’incurie et l’incompétence de ces gouvernants qui n’ont jamais eu la vision supérieure nécessaire à tout grand homme d’Etat, y compris le roi, est-ce pour cela que nous observons depuis toutes ces années un relatif oubli dans lequel cette épopée française américaine a sombré et que bien peu remettent en avant ?

Le Passé est le Passé, pourtant nous ne pouvons-nous empêcher de nous interroger et de nous demander ce qu’il est advenu, depuis toutes ces années, et ce qu’il adviendra désormais dans l’Avenir, pour tous les descendants de ces Français et de ces Amérindiens, ceux là même dont les ancêtres s’étaient jurés une amitié éternelle, ceux là même dont les racines sont ancrées si profondément dans la Grande Paix de Montréal ?

Sources : http://www.vigile.net/La-Grande-Paix-de-Montreal-4-aout

Publié dans Culture

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W
<br /> Bonjour, j'ai lu vos articles sur l'histoire du Canada et ils sont vraiment remarquables, autant celui sur Champlain que les deux derniers. En plus, en France, l'histoire du Canada français est peu<br /> enseignée, même dans les universités.<br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> Je vous remercie pour votre commentaire qui me fait vraiment plaisir. Mais je ne fais que publier, c'est Marie-Hélène Morot-Sir qu'il faut remercier, entre ses articles et ses<br /> livres, elle fait un travail remarquable.<br /> <br /> <br /> Jean Dornac<br /> <br /> <br /> <br />